Sébastien Ristori
- Qu’est-ce que « l’extra-financier » ?
- L’extrafinancier, c’est l’ensemble des données environnementales, sociétales et de gouvernance que l’entreprise peut rapporter à différentes parties prenantes. C’est un rapport qui n’est pas « financier ». Les sociétés cotées élaborent, chacune, une déclaration de performance extrafinancière dans laquelle elles évoquent leurs impacts carbone par activité, leurs politiques RSE (gestion de l’eau, des matières, des déchets, de l’énergie), leurs pratiques sociales en interne (emploi, formation, équité des rémunérations), leurs politiques sociétales (prise en compte des pratiques RSE des fournisseurs, chaîne de valeur décarbonée) et leur positionnement de l’éthique (management, conseil d’administration équitable, transparence des rémunérations). L’idée étant que toute entreprise qui cherche à dégager des profits et créer de la valeur - augmenter la valeur de l’entreprise, et par ricochet, la valeur des actions détenues par l’actionnaire, qui représentent son patrimoine financier - doit pouvoir le faire à la seule condition de protéger, préserver et soutenir l’environnement, l’humain et cultiver l’éthique. En quelque sorte, la performance financière doit profondément être connectée à la performance environnementale et sociétale.
- Seulement 12 000 sociétés européennes sont soumises actuellement à ce reporting extrafinancier ? Quelle est la forme de ce reporting ?
- À ce jour, effectivement, seulement 12 000 sociétés européennes sont soumises à une obligation de reporting extrafinancier. Cela va changer dès l’année prochaine ! La déclaration de performance extrafinancière a une structure générale type adoptée par les sociétés concernées, mais les données rapportées sont assez « libres ». Généralement, les rapports présentent les actions des sociétés concernées en matière ESG par rapport aux 17 objectifs de développement durable de l’UNESCO. Le rapport rappelle le modèle économique de la société dans un premier temps, présente les risques ESG en deuxième partie, évoque les mesures mises en œuvre pour limiter les risques identifiés et, enfin, affiche les résultats obtenus depuis la précédente DPEF. Jusqu’à ce jour, même si les données « sensibles » en matière d’environnement sont rapportées, notamment parce que la loi européenne change, parce que la pratique en $ France est courante depuis la loi NRE (La France est un des premiers pays à imposer le reporting extrafinancier), parce qu’il ne serait pas très honnête d’omettre unindicateur qui pourrait être pointé du doigt par le grand public et parce que la pression exercée par les investisseurs et consommateurs en matière d’attente ESG est forte, la communication extrafinancière est toujours tournée à l’avantage de l’entreprise et cela peut porter quelques limites !
- Quelles ont été les limites de ce reporting ?
- C’est une avancée considérable que d’obliger les sociétés à publier des indicateurs sur leur impact sur l’environnement. Mais rappelez-vous le scandale Orpea, suite à la parution d’un ouvrage à charge sur le traitement des occupants, sur la qualité des soins et sur la gestion globale des établissements. La DPEF qui précédait l’ouvrage mettait en lumière les attentes globales des parties prenantes vis-à-vis de cette société : « qualité des soins », « hygiène » etc… Le rapport présentait un réel plan d’action, sincère et clair à sa lecture. Pourtant, entre le rapportage rédigé et la réalité, il y a eu un écart. Également, le groupe Casino. L’histoire est cocasse, une société tout au bout d’une chaîne de holding, toutes largement surendettées pour perfuser l’entreprise en trésorerie qui ne dégagent plus de rentabilité économique depuis 10 ans. Un montage ingénieux de son dirigeant, qui malgré les nombreux communiqués et alertes lancées par des experts, des avocats, n’a pas subi d’écueils jusqu’à la pénurie de financement et une situation intenable. Là, nous sommes aussi sur le terrain de l’éthique : était-il sain de faire cela ? Dans les deux cas, voyez-vous, le prix à payer est la dilution massive des actionnaires d’origine, aussi doués fussent-ils… C’est en quelque sorte le prix à payer quand on n’est pas suffisamment « ESG ». L’idée d’un reporting extrafinancier est de payer le prix un peu plus vite, ou, à défaut, de prendre des mesures d’actions correctives avant qu’il ne soit trop tard.
- La nouvelle directive CSRD - Corporate Sustainability Reporting Directive - votée par le parlement européen en octobre va-t-elle plus loin ?
- Oui ! Ce n’est pas assez, mais c’est un progrès considérable. N’en doutez pas, des lobbies se sont formés et des députés européens ont suivi le mouvement pour empêcher la mise aux voix d’une telle obligation de reporting. La directive CSRD abaisse les seuils des sociétés éligibles au rapportage extrafinancier. Les entreprises éligibles sont les moyennes et grandes entreprises (50 M€ de chiffre d’affaires, total bilan de 25 M€ et 250 salariés minimum) et les petites entreprises cotées en bourse (15 M€ de chiffre d’affaires et 7.5M€ de total bilan). Soit désormais plus 50 000 sociétés concernées ! Le parlement européen a approuvé les propositions de l’EFRAG - European Financial Reporting Advisory Group -, l’organisme européen en charge des normes extra-financières. 12 normes ont été élaborées : les entreprises devront donc rapporter les indicateurs spécifiques à ces normes. La norme environnementale liée à l’impact carbone est obligatoire pour tout le monde, les autres sont adaptables. Ces normes concernent le changement climatique, la pollution, l’eau et les ressources marines, la biodiversité et les écosystèmes, l’économie circulaire, les effectifs, l’impact sur les communautés des activités, l’impact sur les consommateurs et le mode de conduite des affaires et de gouvernance.
- Quel est ce combat « pour » ou « contre » la double matérialité ?
- La guerre des normes dites « ESG » est le combat de légitimité mené par l’ISSB et l’EFRAG. L’ISSB - International Sustainability Standards Board – a été créé pour élaborer des normes ESG au niveau international afin d’harmoniser les pratiques. L’organisme, dirigé par Emmanuel Faber, l’ancien PDG de Danone, prône pour une matérialité dite « simple ». Cette matérialité aussi appelée « matérialité financière » consiste à élaborer un rapportage extrafinancier à l’attention des parties prenantes dans le seul objectif de les informer de l’impact des facteurs ESG sur la rentabilité économique de l’entreprise, et donc sur l’accroissement du risque et la diminution de la valeur de la société. La double matérialité, c’est cette matérialité simple associée à une matérialité dite « d’impact », celle-ci mesurant les externalités générées par l’entreprise qui ont une influence significative sur le climat, la société ou la gouvernance. Faber, dans un récent communiqué, lance une charge sur ce concept de double matérialité, arguant la difficulté de mesurer précisément l’impact d’une activité sur le climat, mais surtout, argumentant sur la faible conséquence générée par un tel travail sur la valeur de la société… Ce qui rendrait tous ses efforts de reporting, inutile. Les défenseurs de la double matérialité répondent que « mieux vaut faire de façon imprécise, mais faire », pour faire changer les comportements et se soucier enfin du climat.
- Ont-ils raison ?
-Dans les faits, Faber a raison. Rapporter des informations pour informer, c’est bien. Mais cela ne suffit pas. Et les partisans de l’EFRAG ont raison aussi : rendre public l’impact des activités d’une société sur le climat peut sincèrement bousculer les consciences. Pour qu’il y ait un changement radical, il faut de la contrainte qui pèse sur la création de valeur, ce qui pourrait affecter l’actionnaire, le dirigeant, et l’obliger à revoir sa copie stratégique, notamment avec un œil plus vertueux, plus durable. La finance durable s’étend aux outils financiers. Désormais, les organismes financiers, et je suis bien placé pour le savoir puisque dans le cadre de mes travaux de recherche, je mets en œuvre, pour une banque, un produit financier vert et durable, vont soumettre l’obtention de crédits à des indicateurs ESG. Les prêts durables existent déjà, les obligations durables (des titres de marché) sont aussi conditionnées à des résultats en matière ESG. Aujourd’hui, c’est à la marge que varie le taux d’intérêt ou de coupons de ces financements. Mais demain, d’ici peu, c’est l’obtention du prêt lui-même qui sera conditionné aux résultats ESG d’une entreprise : Pas de résultats, pas de financement. Pas de financement, pas de projet. Pas de projet, pas de croissance, et pas de création de valeur. C’est un résumé sommaire, mais la philosophie de ce qui nous attend désormais est là.
- Quelles perspectives pour les plus petites sociétés non cotées en général, notamment celles qui composent le paysage insulaire ?
-Ces normes ne s’imposent pas aux PME non cotées, pour le moment. Mais à terme, soyons réalistes, toutes les entreprises, à l’exception des micro-entreprises probablement, seront soumises à - au moins - un reporting allégé, quel qu’il soit. Tout simplement parce que dans les 10 à 15 prochaines années, nous parlerons de l’empreinte carbone comme on parle de l’EBITDA / EBE, et les financements seront accordés plus facilement aux entreprises les plus vertueuses en matière ESG. Nul doute d’une chose, en tout cas : Pour continuer à créer de la valeur, il faudra avant tout être durable et responsable. Comme toujours en Corse, si nous savons mobiliser nos ressources et si nous prenons conscience de notre capacité à être pionnier sur ces sujets-là, compte tenu de notre géographie et de notre patrimoine naturel, nous serions alors une région leader en matière de durabilité !
- L’extrafinancier, c’est l’ensemble des données environnementales, sociétales et de gouvernance que l’entreprise peut rapporter à différentes parties prenantes. C’est un rapport qui n’est pas « financier ». Les sociétés cotées élaborent, chacune, une déclaration de performance extrafinancière dans laquelle elles évoquent leurs impacts carbone par activité, leurs politiques RSE (gestion de l’eau, des matières, des déchets, de l’énergie), leurs pratiques sociales en interne (emploi, formation, équité des rémunérations), leurs politiques sociétales (prise en compte des pratiques RSE des fournisseurs, chaîne de valeur décarbonée) et leur positionnement de l’éthique (management, conseil d’administration équitable, transparence des rémunérations). L’idée étant que toute entreprise qui cherche à dégager des profits et créer de la valeur - augmenter la valeur de l’entreprise, et par ricochet, la valeur des actions détenues par l’actionnaire, qui représentent son patrimoine financier - doit pouvoir le faire à la seule condition de protéger, préserver et soutenir l’environnement, l’humain et cultiver l’éthique. En quelque sorte, la performance financière doit profondément être connectée à la performance environnementale et sociétale.
- Seulement 12 000 sociétés européennes sont soumises actuellement à ce reporting extrafinancier ? Quelle est la forme de ce reporting ?
- À ce jour, effectivement, seulement 12 000 sociétés européennes sont soumises à une obligation de reporting extrafinancier. Cela va changer dès l’année prochaine ! La déclaration de performance extrafinancière a une structure générale type adoptée par les sociétés concernées, mais les données rapportées sont assez « libres ». Généralement, les rapports présentent les actions des sociétés concernées en matière ESG par rapport aux 17 objectifs de développement durable de l’UNESCO. Le rapport rappelle le modèle économique de la société dans un premier temps, présente les risques ESG en deuxième partie, évoque les mesures mises en œuvre pour limiter les risques identifiés et, enfin, affiche les résultats obtenus depuis la précédente DPEF. Jusqu’à ce jour, même si les données « sensibles » en matière d’environnement sont rapportées, notamment parce que la loi européenne change, parce que la pratique en $ France est courante depuis la loi NRE (La France est un des premiers pays à imposer le reporting extrafinancier), parce qu’il ne serait pas très honnête d’omettre unindicateur qui pourrait être pointé du doigt par le grand public et parce que la pression exercée par les investisseurs et consommateurs en matière d’attente ESG est forte, la communication extrafinancière est toujours tournée à l’avantage de l’entreprise et cela peut porter quelques limites !
- Quelles ont été les limites de ce reporting ?
- C’est une avancée considérable que d’obliger les sociétés à publier des indicateurs sur leur impact sur l’environnement. Mais rappelez-vous le scandale Orpea, suite à la parution d’un ouvrage à charge sur le traitement des occupants, sur la qualité des soins et sur la gestion globale des établissements. La DPEF qui précédait l’ouvrage mettait en lumière les attentes globales des parties prenantes vis-à-vis de cette société : « qualité des soins », « hygiène » etc… Le rapport présentait un réel plan d’action, sincère et clair à sa lecture. Pourtant, entre le rapportage rédigé et la réalité, il y a eu un écart. Également, le groupe Casino. L’histoire est cocasse, une société tout au bout d’une chaîne de holding, toutes largement surendettées pour perfuser l’entreprise en trésorerie qui ne dégagent plus de rentabilité économique depuis 10 ans. Un montage ingénieux de son dirigeant, qui malgré les nombreux communiqués et alertes lancées par des experts, des avocats, n’a pas subi d’écueils jusqu’à la pénurie de financement et une situation intenable. Là, nous sommes aussi sur le terrain de l’éthique : était-il sain de faire cela ? Dans les deux cas, voyez-vous, le prix à payer est la dilution massive des actionnaires d’origine, aussi doués fussent-ils… C’est en quelque sorte le prix à payer quand on n’est pas suffisamment « ESG ». L’idée d’un reporting extrafinancier est de payer le prix un peu plus vite, ou, à défaut, de prendre des mesures d’actions correctives avant qu’il ne soit trop tard.
- La nouvelle directive CSRD - Corporate Sustainability Reporting Directive - votée par le parlement européen en octobre va-t-elle plus loin ?
- Oui ! Ce n’est pas assez, mais c’est un progrès considérable. N’en doutez pas, des lobbies se sont formés et des députés européens ont suivi le mouvement pour empêcher la mise aux voix d’une telle obligation de reporting. La directive CSRD abaisse les seuils des sociétés éligibles au rapportage extrafinancier. Les entreprises éligibles sont les moyennes et grandes entreprises (50 M€ de chiffre d’affaires, total bilan de 25 M€ et 250 salariés minimum) et les petites entreprises cotées en bourse (15 M€ de chiffre d’affaires et 7.5M€ de total bilan). Soit désormais plus 50 000 sociétés concernées ! Le parlement européen a approuvé les propositions de l’EFRAG - European Financial Reporting Advisory Group -, l’organisme européen en charge des normes extra-financières. 12 normes ont été élaborées : les entreprises devront donc rapporter les indicateurs spécifiques à ces normes. La norme environnementale liée à l’impact carbone est obligatoire pour tout le monde, les autres sont adaptables. Ces normes concernent le changement climatique, la pollution, l’eau et les ressources marines, la biodiversité et les écosystèmes, l’économie circulaire, les effectifs, l’impact sur les communautés des activités, l’impact sur les consommateurs et le mode de conduite des affaires et de gouvernance.
- Quel est ce combat « pour » ou « contre » la double matérialité ?
- La guerre des normes dites « ESG » est le combat de légitimité mené par l’ISSB et l’EFRAG. L’ISSB - International Sustainability Standards Board – a été créé pour élaborer des normes ESG au niveau international afin d’harmoniser les pratiques. L’organisme, dirigé par Emmanuel Faber, l’ancien PDG de Danone, prône pour une matérialité dite « simple ». Cette matérialité aussi appelée « matérialité financière » consiste à élaborer un rapportage extrafinancier à l’attention des parties prenantes dans le seul objectif de les informer de l’impact des facteurs ESG sur la rentabilité économique de l’entreprise, et donc sur l’accroissement du risque et la diminution de la valeur de la société. La double matérialité, c’est cette matérialité simple associée à une matérialité dite « d’impact », celle-ci mesurant les externalités générées par l’entreprise qui ont une influence significative sur le climat, la société ou la gouvernance. Faber, dans un récent communiqué, lance une charge sur ce concept de double matérialité, arguant la difficulté de mesurer précisément l’impact d’une activité sur le climat, mais surtout, argumentant sur la faible conséquence générée par un tel travail sur la valeur de la société… Ce qui rendrait tous ses efforts de reporting, inutile. Les défenseurs de la double matérialité répondent que « mieux vaut faire de façon imprécise, mais faire », pour faire changer les comportements et se soucier enfin du climat.
- Ont-ils raison ?
-Dans les faits, Faber a raison. Rapporter des informations pour informer, c’est bien. Mais cela ne suffit pas. Et les partisans de l’EFRAG ont raison aussi : rendre public l’impact des activités d’une société sur le climat peut sincèrement bousculer les consciences. Pour qu’il y ait un changement radical, il faut de la contrainte qui pèse sur la création de valeur, ce qui pourrait affecter l’actionnaire, le dirigeant, et l’obliger à revoir sa copie stratégique, notamment avec un œil plus vertueux, plus durable. La finance durable s’étend aux outils financiers. Désormais, les organismes financiers, et je suis bien placé pour le savoir puisque dans le cadre de mes travaux de recherche, je mets en œuvre, pour une banque, un produit financier vert et durable, vont soumettre l’obtention de crédits à des indicateurs ESG. Les prêts durables existent déjà, les obligations durables (des titres de marché) sont aussi conditionnées à des résultats en matière ESG. Aujourd’hui, c’est à la marge que varie le taux d’intérêt ou de coupons de ces financements. Mais demain, d’ici peu, c’est l’obtention du prêt lui-même qui sera conditionné aux résultats ESG d’une entreprise : Pas de résultats, pas de financement. Pas de financement, pas de projet. Pas de projet, pas de croissance, et pas de création de valeur. C’est un résumé sommaire, mais la philosophie de ce qui nous attend désormais est là.
- Quelles perspectives pour les plus petites sociétés non cotées en général, notamment celles qui composent le paysage insulaire ?
-Ces normes ne s’imposent pas aux PME non cotées, pour le moment. Mais à terme, soyons réalistes, toutes les entreprises, à l’exception des micro-entreprises probablement, seront soumises à - au moins - un reporting allégé, quel qu’il soit. Tout simplement parce que dans les 10 à 15 prochaines années, nous parlerons de l’empreinte carbone comme on parle de l’EBITDA / EBE, et les financements seront accordés plus facilement aux entreprises les plus vertueuses en matière ESG. Nul doute d’une chose, en tout cas : Pour continuer à créer de la valeur, il faudra avant tout être durable et responsable. Comme toujours en Corse, si nous savons mobiliser nos ressources et si nous prenons conscience de notre capacité à être pionnier sur ces sujets-là, compte tenu de notre géographie et de notre patrimoine naturel, nous serions alors une région leader en matière de durabilité !









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